Nouvelle intitulée Sadoc

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sico
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Joined: Mon Sep 03, 2007 1:39 am

Nouvelle intitulée Sadoc

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SADOC

Sadoc? Vous avez dit « Sadoc »?
Oui! Ma parole, je sais que c'est un nom bizarre, mais qu'est-ce que je peux y faire? Et pourquoi m'énerver contre vous, mademoiselle, ma prof d'anglais, alors que vous êtes la seule dans tout cet établissement qui prononcez mon nom cinq fois par semaine. Ouais, exact, c'est ça être Yann Sadoc, on parle de persécution, je vous parle d'indifférence. Etre Yann Sadoc, c'est ce réveiller chaque matin sans motivation, sans une étincelle, quedal, rien, nada mes frères, lorsque j'entre dans ma classe, j'adresse un chaleureux « Salut! » à mes chers camarades. Pas de réponse. Mon enthousiasme ponctuel chute comme une pierre tombe lorsqu'on la lancée à la verticale. C'est cela être Yann Sadoc. C'est travailler votre philosophie, étudier les textes de Platon, se noyer dans un océan de notions auquel vous ne comprenez rien tandis qu'une fille ou deux se sont assises sur cette même table, leur fesses contre l'arête de votre nez; si vous avez de la chance, au bout de dix minutes, l'amie de la fille en question dira « et mais va-t'en de cette table, tu l'empêche de travailler ». Merci machine. Seuls les professeurs prononcent mon nom, pour les autres, je ne suis que le deuxième garçon d'une classe de terminale L. Sans nom. Comme un fichier de microsoft word: comme si à ma naissance - lorsque l'infirmère a demandé à ma mère comment s'appellerait ce « bout d'homme » - ma mère avait répondu « Il s'appel Sansnom.doc ».
Les psycologues aiment à dire que les enfants qui se sentent rejetés se forgent une carapace, ou se renferment sur eux-même, si vous voulez, messiers les spécialistes. Très bon diagnostic docteur, maintenant puis-je vous faire part de ma vision des choses? Je n'ai pas de carapace, je ne m'enferme pas (dommage hein?), je suis moi, Yann Sadoc, et à force de n'être... pas grand chose aux yeux des autres, je me suis résigné, j'ai divisé Yann en deux personnes: l'une sort des plaisanteries d'une nullité monstre à ses amis, profite de la vie et s'alcoolise de temps en temps, l'autre ne dit jamais un mot, si ce n'est « salut » et « au revoir », va s'asseoir à sa place, les muscles crispés, la sueur au front, les mains moîtes, et se tient raide comme un piquet. Voilà Yann. Personnellement, je préfère la première personne.
Un jour, comme cela arrivait quotidiennement, un garçon est venu dans notre classe. Grand, gras, le visage bouffi par l'acnée (j'ai eu le temps de l'observer, je ne faisais rien).
Il y a combien de mecs dans vot' classe? A-t-il demandé.
Deux, a répondu Amélie, une élève, mais il y en a un à qui je ne parle jamais.
Merci Amélie. Mes yeux sont restés secs; bien que cela fasse toujours quelquechose, une émotion particulière – parfois le vide, la tristesse, souvent une simple envie de me ruer sur la personne plantée face à moi et de la frapper à mort, en l'obligeant à me faire exister – j'ai pris l'habitude depuis dix ans: je disparais de la mémoire des gens depuis l'école primaire. C'est ça même, disparaître. Tout ce qui a rapport à moi me paraît robotique. Les ordinateurs ont de la mémoire vive, une mémoire qui s'efface chaque fois que la machine redémarre: c'est exactement cette sensation; l'impression que les gens remarquent ma présence, ils s'éteignent au bout d'une dizaine de seconds, et oublient que je suis là (c'est d'ailleurs grâce à ces oublis que j'ai vécu ma première relation sérieuse avec une fille). Mon entourage non-familial n'est composé que d'ordinateurs, une journée typique se déroule de cette manière:
Salut!
(Windows est en cours de démarrage – Windows détecte le fichier Sansnom.doc)
Salut.
Ca va bien?
Ouais.
(Windows a détecté une erreur systeme – fichier Sansnom.doc Sadoc non détecté)
Robotique, froid, distant. Un autre jour comme il s'en passe des dizaines, une autre fille de ma classe -elle s'appelle Tarah – était convoquée chez le directeur du lycée, M. Harrigace.
Dites (elle s'adressait au reste de la classe pendant une récréation), j'ai pas envie d'aller voir monsieur Harrigace toute seule: quelq'un veut bien venir avec moi?
Oui, ai-je répondu.
J'ai suivit sa trace dans le couloir, puis dans l'escalier, toujours sans mot dire. Un instant et elle se retourne, comme si elle avait entendu des bruits de pas derrière elle (ce qui était bien évidemment le cas puisque je l'accompagnais), reste fixée sur moi deux secondes, et me lance:
Mais qu'est-ce que tu fou là?
(Windows en cours de démarrage – détection du fichier Sansnom.doc Sadoc)
Bah je viens avec toi chez Harrigace...
Elle ne semblait pas comprendre ce que je lui disai, aussi lui ai-je remémoré ce fameux moment de sa vie -il y a quelques minutes – où elle avait demandé une escorte pour se rendre chez le dirlo.
T'as demandé a quelq'un...
Oui a « quelqun », m'a-t-elle coupée, mais pas à toi.
J'ai dû la regarder avec un air étrange (en fait j'ai du m'éteindre), observer avec une instistance malsaine ses yeux, puis sa bouche...
Et puis arrête de me reluquer comme ça, tu m'intéresse pas.
(Erreur systeme – Windows a détecté un virus – virus=fichier Sansnom.doc Sadoc)
Je n'ai pas su quoi répondre. Je ne sais plus comment continuer.

Entre Yann. Installe toi.
La voix du psycologue recommandé par mes parents me parvenait toujours de la même manière: lointaine. Je ne supportais pas son cabitnet: c'était une pièce froide (bien que le radiateur fût constamment allumé), illuminée faiblement par deux lampes de chevet, meublée d'un fauteuil de velours et d'un canapé une place « design-psy », où j'imaginais parfois en esprit les autres patients, docilement allongés, le regard fuyant vers le plafond, entrain de raconter comment se souvenir d'eux jouant avec un cerf-volant sur une plage leur donnait une envie de suicide. A ce propos, la première fois que je me suis introduit dans l'entre de la bête -ou plutôt du psy – j'ai demandé d'un ton ironique s'il fallait que m'assoie ou que je m'allonge; il m'a répondu, d'un ton mielleux à souhait, que je devais m'installer à l'endroit où je serais le plus à l'aise. Lors de cette première séance, j'ai essayé le canapé design-psy, mon regard s'est posé sur les multiples craquelures du plafond, j'y ai remarqué une légère fuite d'eau, et j'ai changé d'avis pour le fauteuil. Je méprisais ce psy tout comme son foutu cabinet glacial; le cabinet était si froid que je voyais des stalagtites pointer en dessous de son menton – lui était si chaleureux qu'au départ, je l'ai pris pour un homosexuel.
Fais-tu encore des rêves « morbides »?
Sans attendre ma réponse, il s'est mis à griffonner une ligne de hiéroglyphes de traviole.
Bah, je rêve toujours de cette scène avec Tarah, où elle m'envoie balader. Ensuite je suis chez moi, mon petit frère me demande de venir jouer avec lui dans les bois, je refuse d'abord, et puis je cède. Ensuite, nous arrivons à la source près d'une rangée d'arbres morts, et il décrète qu'il va construire une cabane.
Hum hum... Fit-il en ajoutant une ligne illisible sur la feuille blanche. Et ensuite?
Ensuite il creuse à toute vitesse des trous pour les fondations; d'un coup il s'arrête. Il sourit comme un psycopathe et me tend quatre grenade couvertes de terre en demandant ce que c'est...
As-une idée de ce que représente pour toi ces grenades? Est-ce que tu as des envies de violence?
(Bien sûre espèce d'abruti de fouille-merde)
Oui, acquiesçai-je en hochant la tête. De tout façon, mon rêve se termine toujours pareille.
Raconte moi encore la fin.
Je conserve les grenades chez moi. Commençai-je en obtempérant pour la sixième fois. J'ai tout le temps une impression désagréable, je crois entendre mon nom dans toutes les converstions, peut-être que je suis parano. Au final je pète les plombs: je me ramène en classe, j'attends la récréation, la reprise des cours, alors je me cache sous la table, je me frappe violemment le nez à trois reprises, histoire de saigner; je prends ce prétexte pour demander au prof si je peux aller aux toilettes. Je dégoupille discrètement les deux premières grenades, je sort de la classe. Elles explosent. Elles crient toutes. Je reviens dans la classe et voie qu'il manque à Tarah un bout de mâchoire et deux doigts. Elles veulent s'échapper, y en a un bon paquet qui dérapent dans la flaque de sang. Ils ont tous le visage grêlé de sang. J'intercepte Tarah avant qu'elle quitte la classe et enfonce de toute mes forces la troisième grenade dans sa bouche. Son crâne explose, il y a de bouts gris-rouges de cerveaux près de la porte, et les débris d'os de son crâne. Alors là je regrette de l'avoir tué: je fourre la dernière grenade dans ma bouche et a pousse jusque dans la gorge. Je dégueule, dégoupille.

Dégobiller, dégoupiller... Pas de grenade à ma disposition, juste ma cervelle pour trouver une échappatoire. Je bouffe un big mac, les hamburgers, la nourriture, c'est un remède temporaire, ça permet de se redonner un peu d'espoir. Ah l'espoir, quand il nous tient... Mais une fois le sandwich avalé, il ne me reste plus rien, juste moi et ma perpétuelle envie d'en finir. Le problème est toujours venu de moi, jamais des autres, "en finir", c'est le seul moyen; je crois que c'est pour ça qu'il est 22h21, que j'ai suivis la voix ferrée depuis la gare jusqu'à un endroit du chemin de fer où théoriquement, le train aura atteint sa vitesse de croisière. Je respire bruyamment. Mon thorax me fait souffrir, je sens comme une plaque nerveuse qui s'entremêle sur mes côtes. Je veux en finir. 22h22. Le train doit partir de la gare à 22h25, il sera la d'ici une dizaine de minutes. 22h23. La nuit est fraîche, trop fraîche pour être agréable. Le ciel est étoilé, et qu'est-ce que j'en ai à foutre ? Alors je décèle comme une petite vibration des les railles ; très légère vibration : le train arrive. Je veux en finir, oui, mais mon corps s'angoisse ; la plaque nerveuse s'envenime, j'ai mal, ma respiration se saccade, sueur. Normal, relaxe Yann, c'est bientôt finit.
Les vibrations s'accentuent, s'intensifient, les rails trembles carrément. Soudain je l'aperçois, il n'est plus très loin, mais pas encore très près: allez viens me dérouiller, connerie de machine ! Le TGV va vite, il fonce en fait, les rails tremblent, je tremble, mes muscles se contractent par intermittence, comme une alarme physique, tout en moi se tend. Le train arrive ! Il va être à ma hauteur! Il paraît gigantesque maintenant! Un putain de monstre de métal qui ne se soucie pas des gamins qui traînent sur la voix ferrée! Alarme, panique, oh putain !!!! Dans mon agitation bloquée, chacun de mes orifices coulent : je pleure, je morve, je me pisse dessus. Cela me vient comme ça, soudainement, l'espoir réactive la machine qui me sert de corps. Je retrouve tout: mes sensations, la joie, beaucoup de trouille, mes réflexes... Je ne veux pas creuver putain !!!
Le train passe devant mon nez, tandis que dans un geste imprévu et indépendant de ma volonté, je bondis sur ma gauche, tombe et m'étale sur les rails d'à côté. Je sue, je pue l'urine, mais je vis: c'est ça l'espoir ! je me relève mécaniquement, agité de spasmes : il a fallu que je tente le suicide pour comprendre combien j'aime vivre. Oh putain!!! Je sens la joie m'envahir, je me rends compte qu'elle connerie j'ai failli faire; je veux tout faire maintenant; y arriver me sortir de là aller m'enfiler un sandwich: l'espoir m'envellope dans son étreinte vivante... l'esp-

(Windows diagnostic - fichier Sansnom.doc Sadoc définitivement supprimé du systeme)

Ce qu'aurait dû prévoir Sadoc, c'est que ce soir là, à 22h30, c'étaient non pas un, mais deux trains qui suivaient le même itinéraire, au même horaire. Mais dans le sens inverse.

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Gorka
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Joined: Thu May 05, 2005 11:01 pm

Post by Gorka »

Superbe... Mais l'ironie du sort est cruelle..!!

sico
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Joined: Mon Sep 03, 2007 1:39 am

Post by sico »

Suis très content que ce texte t'ai plu, et effectivement, l'ironie du sort est cruelle.

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